Le chômage en France, quelles solutions?

Les causes du chômage sont elles liées à un manque de compétitivité coût ou un problème de compétitivité hors coût. Faut il abaisser les salaires et les charges sociales pour baisser le chômage ou le mal est il plus compliqué et plus difficile à résoudre... Des éléments de débat avec le billet qui suit.

 

Les 35 heures, un bouc émissaire...


Le 28 octobre 2012


Les plans sociaux se multiplient en France depuis les dernières élections. Les problèmes de Peugeot relancent le débat emblématique sur les causes de la désindustrialisation en France.

Le premier ministre, confronté à la sortie prochaine du rapport Gallois, vient implicitement de le reconnaître : le coût du travail est trop cher en France, notamment comparé à celui de l'industrie allemande, notre premier fournisseur et client. C'est par rapport à ce pays (longtemps premier exportateur mondial avant que la Chine...) que l'on se compare, car il est aussi développé que le nôtre, et qu'il jouit d'un excédent record de son commerce extérieur, alors que le nôtre est notoirement déficitaire.

Or ce déficit du commerce extérieur est catastrophique pour le pays, et il s'est généralisé non pas seulement avec la Chine, mais aussi, avec nos principaux partenaires européens.

D'une part, cette production étrangère consommée en France, et cette production française, non consommée à l'étranger, constitue des débouchés que nos entreprises n'ont pas, ce qui pèse sur la production intérieure, entraîne des licenciements et du chômage.

D'autre part, avoir un déficit du commerce extérieur veut dire que, si celui-ci n'est pas compensé par le balance des invisibles (service vendus à l'étranger, tourisme étranger en France..), la dette de la France envers l'étranger ne cesse d'augmenter. A son échelle, la France est presque sur le même chemin que les USA (voir chronique précédente, sur la dette américaine), à la différence près que le taux d'épargne des français, permet de financer une grande partie la dette de l'état par des résidents, au contraire des USA, ce qui rend le pays un peu moins vulnérable que son voisin d'outre Atlantique. Mais, comme dirait Keynes, « à long terme nous serons tous morts », et donc cela n'est pas tenable, puisque l'endettement du pays vis à vis de l'extérieur (secteur privé et public) ne cesse d'augmenter. Le « ménage France » ne cesse de s'endetter envers l'étranger, car le tourisme étranger sur notre sol et les services vendus à l'étranger ne compensent plus ce déficit de la balance commerciale (notre balance des transactions courantes est négative). En effet, ce déficit de la balance courante, fait que, une fois engrangés nos devises liées à nos ventes auprès des étrangers, nous n'avons pas assez de devises pour payer nos dépenses auprès de l'étranger. Une partie de ces dépenses est donc indirectement payée par des entrées de devises en France, sous forme de prêts par des étrangers (qu'il faudra rembourser un jour ou l'autre en vendant des produits à l'étranger!!), où d'achat de patrimoine français par des étrangers (des parcelles de la France qui appartiennent dès lors à des étrangers).

Ayant adopté l'Euro, la France ne connaît pas la conséquence négative habituelle de ce déséquilibre de la balance courante : la dévaluation de sa monnaie, avec son lot de conséquences négatives ; le renchérissement des produits importés, notamment du prix des matières premières importées comme le pétrole et donc, la perte de pouvoir d'achat des ménages nationaux par l'inflation importée. Mais « l'Euro qui protège », a paradoxalement réduit les marges de manœuvre de la France puisqu'il la prive de l'arme de la dévaluation, qui permet de rendre ses produits nationaux moins chers à l'étranger et de renchérir les produits étrangers vendus en France, et donc, parfois, de redresser la balance courante en rendant nos produits moins chers et ceux des autres pays plus onéreux. Cette technique de la sous évaluation monétaire est par contre utilisée (avec des barrières non tarifaires de frein d'accès à son marché) de façon systématique par la Chine et elle en use et en abuse pour continuer à protéger son marché intérieur tout en exportant à qui mieux mieux. Privés de l'arme de la dévaluation, la France en est donc condamnée (enfin!!!) à chercher les causes internes et structurelles à ses déficits commerciaux extérieurs, qui perdurent depuis plus de 30 ans, pour y remédier au plus vite. Si nous continuons à faire l'autruche encore trop longtemps, nous risquons de nous retrouver dans la situation périlleuse qui est celle des USA, sans avoir ses deux points forts que sont sa puissance diplomatique et militaire et son statut de premier marché intérieur mondial, et qui font que, dans une situation de d'hyper-endettement vis à vis de l'étranger, ses créanciers continuent à maintenir leur économie sous perfusion (voir chronique précédente).


Est-ce un problème de « compétitivité prix », c'est à dire que nos coûts de fabrication sont trop élevés ?

Est-ce un problème de « spécialisation produit » ou de structure de production? Peut-être que les produits que nous vendons ne sont pas assez innovants ou de mauvaise qualité ou n'ont pas une assez bonne image à l'étranger. Peut-être que nos PME, de taille trop modeste, ne sont pas adaptées ou ne font pas (et ne peuvent pas faire) assez d'effort pour exporter.


Confrontés à ce problème, certains économistes accusent la « compétitivité coût » désastreuse de notre industrie, à cause d'un coût du travail trop élevé lié au passage aux 35 heures. Ce coût du travail trop élevé serait responsable de tous les maux car il rendrait nos produits non compétitifs et réduirait la marge des entreprises, qui dès lors, seraient incapables d'investir pour abaisser leurs coûts et faire de la recherche et développement pour innover et proposer des produits attrayants.

Ce discours simpliste emprunté à l'école de l'offre proposerait, comme solution magique, d'abaisser les charges sociales des employeurs et de déréguler le marché du travail, en facilitant les licenciements et les contrats de travail précaires.


Mais réduire le problème de l'industrie française au seul coût du travail est trop simple. Même si ce problème ne doit pas être éludé, l'industrie française souffre d'un mal plus profond, qu'une simple baisse du coût du travail ne suffirait pas à résoudre. Surtout, accuser les 35 heures à elles seules est totalement inexact.


Les 35 heures, coupables surtout de baisse du pouvoir d'achat de l'ouvrier français.

Comme le dénonçait à l'époque des membres allemands de l'union socialiste européenne (consulter page de leur site à ce sujet), le passage aux 35 heures en France, s'est traduit par un assouplissement des règles du travail. Les négociations internes aux entreprises lors du passage volontaire aux 35 heures ont souvent prévu des limitations de progression du salaire, des annualisations du temps de travail limitant le coût des heures supplémentaires et adaptant dans l'année, la charge de travail des salariés, sans contre partie. Elle ont souvent instauré des décomptes de temps de pause ou d'habillement jusqu'à présent compris dans le temps de travail. Si l'on ajoute à cela, les baisses de cotisations patronales liées à ce passage aux 35 heures (voir exégèse de la loi Aubry en annexe), certaines grandes entreprises ayant « joué le jeux de la loi » n'ont pas vu leur réel coût du travail augmenter. Ceci est à tel point vérifiable, que la Yaris de Toyota qui est exportée aux USA est celle qui est produite en France, au lieu d'être exporté du Japon et produite au Japon.

Avec cette modération salariale et ces concessions diverses sur la flexibilité du travail, les temps de pause, .., les ouvriers de certaines entreprises françaises ont bien vite déchanté, en voyant leur fiche de paie, et ont, préféré voter pour un certain Nicolas S., qui leur promettait de « travailler plus, pour gagner plus », car avec la modération de la progression de leur salaire et l'annualistation du temps de travail (et des semaines parfois très chargées, car les heures supplémentaires pouvaient légalement dépasser le quota d'avant, et cela sans être payées beaucoup plus chères), ils avaient l'impression de travailler presque autant (et certaines semaines beaucoup plus), avec un pouvoir d'achat en baisse. En bref, ils gagnaient moins et étaient corvéables à merci.

De plus, parallèlement à ce passage aux 35 heures, les contrats précaires se sont multipliés en France, avec de plus en plus de contrats à durée déterminée, intérimaires ou intermittents.


Le coût du travail, un indicateur très relatif...

Les Cassandres, qui aujourd'hui accusent les 35 heures d'être la cause de la désindustrialisation française, sont les mêmes qui accusaient déjà le coût du travail d'être la cause de la dégradation de notre commerce extérieur au début des années 1990. A lépoque, Ils ne comparaient pas le coût du travail français à celui de l'Allemagne, car il était plus élevé outre Rhin, avec des branches où la durée légale était de 32 heures. Cela aurait donc donné un argument à leurs détracteurs, puisque les allemands continuaient à nous vendre des Golfs, à des prix exorbitants, avec des salariés travaillant 32 à 35 heures et un salaire horaire supérieur à leurs homologues français (sans compter les jours fériés payés plus nombreux en Allemagne).

Ces Cassandres comparaient donc le coût du travail horaire en France avec les USA, par exemple, sans prendre en compte la différence de productivité du travail. A l'époque, le productivité étant de 20 % plus élevée dans l'industrie française que chez son homologue américaine. Ainsi, le coût réel du travail français (ramené à la quantité produite) était imbattable comparé aux USA et à de nombreux pays européens comme l'Allemagne ou la Belgique.

Toyota ne s'était d'ailleurs pas trompée et avait choisi d'implanter son usine européenne en France, et pas dans un autre pays européen. La situation centrale du Nord de la France était un atout, pour le japonais, dans une Europe unique, mais le coût et la qualification de la main d’œuvre locale était, à l'époque, un argument capital, aux dires même des patrons japonais de la firme. Pourtant, la France peinait déjà à vendre ses produits industriels. Le mal est donc plus profond et le vers rongeait déjà le fruit, avant « l'époque honnie des 35 heures ». En, fait si ne l'on ne fait pas l'erreur, comme certains organismes partisans ou approximatifs, de mélanger les employés à temps partiel avec ceux travaillant à temps plein, l'employé français, malgré la durée légale de 35 heures, travaille plus que l'employé allemand. L'OCDE, organisme libéral si l'en est, et donc non soupçonnable de parti pris social, considère que le salarié français travaille 1439 heures par an contre 1408 heures pour son homologue allemand.

En ce qui concerne le coût du travail réel, le coût de travail en France à augmenté relativement à celui de l'Allemagne. Il est, aujourd'hui, à peu près le même dans l'industrie automobile allemande que chez son homologue française (environ 33 € de l'heure). Ce n'est pas aux 35 heures qu'on doit cette quasi égalité, mais aux réformes lancées sous G. Shröder, en Allemagne, pour abaisser le coût du travail en Allemagne. Ces réformes ont été rendues possibles par l'entrée en Allemagne d'une main d’œuvre pas chère avec la réunification, et au dialogue social intensif outre Rhin. En fait, la France avait un coût du travail raisonnable dans les années 1990 (car inférieur à l'Allemagne). Il devient déraisonnable (car égal à l'Allemagne, dixit certains économistes libéraux) maintenant, pas parce qu'il a augmenté chez nous, mais parce qu'il a baissé chez les autres, les allemands en particulier. La course internationale à la baisse de son coût est devenu le mantra des politiques de part le monde, et en Europe en particulier. Avec la limitation de l'immigration (comparée aux USA) et donc de la population (en Allemagne notamment), cette stagnation du pouvoir d'achat des ménages explique en partie la croissance molle européenne. Ceci participe au chômage élevé dans la zone, notamment dans les pays où l'industrie n'est pas aussi dynamique que celle de l'ogre allemand

Au final, comparé à la France, et grâce à la politique d'un chancelier social-démocrate, le travail est plus flexible en Allemagne, avec par exemple un recours massif au chômage partiel (payé par les assurances sociales, mais à quel taux?) pour faire face aux aléas conjoncturels de baisse de la demande (exemple entre 2009 et 2011 pour l'industrie automobile allemande). De plus, le coût du travail global de la branche automobile allemande est moins élevé, en faisant appel à des sous-traitants asiatiques notamment (pièces détachées, etc). Mais, en fait, le travail ne représente qu'une partie minoritaire du coût d'une automobile. On le voit avec les résultats des calculs d'apothicaires de baisse du coût des automobiles fait dans l'hypothèse d'une baisse de quelques pourcent des charges sociales sur les salaires français, qui se chiffre en quelques dizaines d'Euro par auto, et ne pourrait être déterminant dans l'acte d'achat d'une automobile, acte qui ne peut être, de plus, qualifié de pleinement rationnel.


Un problème plus complexe, à régler avec tout, sauf une autre mesure spectaculaire...

En fait, au final, la principale différence entre l'industrie allemande et son homologue française, est la « spécialisation produit ». C'est le fait de proposer un produit qui apporte au consommateur un service (réel ou virtuel) qu'il est prêt à payer plus cher, soit parce qu'il est innovant ou de meilleure qualité, soit parce qu'il le semble. Ainsi, à qualité égale, une voiture allemande se vend plus chère, ou elle est la seule à se vendre tout court (l'industrie automobile française ayant, jusqu'à présent, échoué à chaque tentative « de monter en gamme » - l'histoire dira ce qu'il adviendra de la gamme « DS » de Citroën, si tant est que ce saut en gamme soit suffisant pour concurrencer les marques allemandes).

L'avantage des PME allemandes est aussi d'être plus grosses et donc de pouvoir investir plus dans l'innovation que leurs homologues françaises.

L'avantage des entreprises allemandes est d'être allemandes, avec des employés allemands, et des employeurs allemands. L'avantage est donc d'avoir des entreprises où vit le dialogue social. L'avantage est d'avoir des entreprises où l'entrepreneur cherche à innover et faire réussir sa grosse PME.

L'avantage des PME allemandes est d'avoir traditionnellement des banques plus impliquées dans leur développement et plus prêteuses.

L'avantage des allemands est peut-être la formation de la main d’œuvre industrielle (apprentissage), mais sûrement pas la capacité à innover ou la formation et la recherche scientifique.

En fait, la principale différence entre nos deux industries est peut-être avant tout liée à des différences de mentalités. Comment se fait-il que la plupart des grand groupes français innovants ou exportateurs (train, aérospatial, nucléaire, ..) sont tous issus de la politique de l'état (entreprises nées nationales, ou nées grâce à des commandes et des innovations permises par l'état). Comment se fait-il que les grandes entreprises allemandes innovantes et exportatrices sont d'origine privée... Les réponses se trouvent seulement en partie chez Weber, mais presque toutes, dans des livres de sociologie... Comment se fait-il que les banques allemandes ont toujours participé volontairement au développement du tissus des grosses PME allemandes ? Que dire de certaines banques françaises qui font l'actualité, plus occupées (à l'heure où j'écris) à réclamer des milliards à un de leur salarié trader, pour cacher leur incompétence ou à provisionner des milliards pour couvrir leurs aventures grecques ?


Ce qui est sûr, c'est que le problème de chômage de masse structurel en France (3 décennies avec plus de 6 % de chômeurs), ne se réglera pas avec une mesure simple. Le partage malthusien du temps de travail avec l'adoption des 35 heures n'était pas une solution miracle, même si il a été accompagné d'aides sur les charges sociales et de négociations d'allègement de la réglementation du travail. La désindustrialisation du pays a continué et le taux de chômage a conséquemment suivi.

De la même façon, se contenter de baisser les charges patronales (en rabotant pour se faire le pouvoir d'achat des ménages et donc la demande intérieure avec une hausse de la TVA ou de la CSG), ne règlera pas ce problème de désindustrialisation et de chômage de masse, comme une recette magique. Un banque d'aide à l'investissement est une avancée, mais elle ne doit pas être la seule. Le dialogue social, l'aide à l'investissement des entreprises, mais aussi un nécessaire protectionnisme face à certaines barrières non tarifaires dans le commerce mondial et beaucoup d’imagination, pour changer les mentalités et les habitudes seront nécessaires...


Quoiqu'il en soit, il serait bien, pour une fois, d'oublier les mesures spectaculaires et magiques, sensées apporter une solution à court terme (c'est à dire à l'échelle d'un quinquennat). Il faudrait penser un peu moins à l'école de l'offre et plus à Weber, Schumpeter et consorts... Il faudrait aussi penser à rétablir une concurrence loyale dans les échanges internationaux...

N.M.

 

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